Question préalable sur le PLFSS de Jean MALLOT
M. Jean Mallot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question préalable que je m’apprête à défendre devant vous vise par définition à montrer qu’il n’y a pas lieu de délibérer.
Du PLFSS pour 2009, que nous examinons aujourd’hui en dernière lecture, je dirai tout simplement qu’il n’est ni fait ni à faire. Nous l’avions dit en première lecture, les hypothèses sur lesquelles vous l’avez fondé – une croissance de 1 % en 2009, puis de 2,5 % par an de 2010 à 2012, et une augmentation de la masse salariale de 3,5 % en 2009 et de 4,6 % ensuite – sont erronées.
Nos observations étaient tout à fait justifiées, puisque, monsieur le ministre des comptes, vous avez vous-même reconnu début novembre devant le Sénat qu’il valait mieux évaluer à 2,75 % l’évolution des salaires en 2009 et à 10,5 milliards d’euros le déficit de la sécurité sociale la même année, au lieu des 8,6 milliards initialement prévus. Près de 2 milliards d’aggravation en deux mois, ce n’est pas mal ! En outre, le chômage repartant à la hausse, il faut s’attendre à de nouvelles difficultés – diminution des ressources et augmentation des charges pour tous les régimes sociaux. La situation n’est guère florissante, et vous feriez bien d’en tenir compte !
On est loin de la période 1998-2004 – merci le gouvernement Jospin, merci Martine Aubry ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Marie-Christine Dalloz. Il fallait oser !
M. Jean Mallot. Vous leur rendez vous-même hommage dans l’exposé des motifs de l’article 10 du projet de loi, en rappelant à propos de la branche vieillesse que « les excédents constatés entre 1998 et 2004 ont été quant à eux affectés au Fonds de réserve des retraites ». À l’époque, il y avait un excédent !
M. Jean-Louis Idiart. C’était le bon temps !
M. Jean Mallot. Mais, bien que vous prévoyiez des déficits importants et que vous en reconnaissiez l’aggravation, vous n’en tirez aucune conclusion. Ainsi, le déficit de la branche vieillesse pour 2009 – plus de 5 milliards d’euros – aurait dû vous faire conclure à l’échec de la loi de 2003 sur les retraites. De même, le déficit annoncé de la branche maladie – 3,4 milliards d’euros – signe l’échec de la loi de 2004 sur l’assurance maladie.
M. Denis Jacquat. Ce n’est pas un échec !
M. Jean Mallot. En outre, vous persistez à vouloir baisser l’impôt de nos concitoyens les plus favorisés, ce qui creuse évidemment la dette. Les générations futures paieront !
En 2007, les franchises médicales constituaient la mesure phare de votre PLFSS pour 2008. Les conséquences en sont terribles : nous le savons, 39 % des Français environ ont renoncé à se soigner ou ont repoussé le moment de le faire. Le rapport d’évaluation de ces franchises que Mme Bachelot brandissait il y a peu dans cet hémicycle peine manifestement à en parcourir les travées, puisque nous n’avons pas encore pu le lire. Peut-être les moyens modernes de communication nous permettront-ils d’en prendre connaissance avant la fin de l’année.
S’agissant de la fragilité de vos travaux, je rappelle tout d’abord que la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche recouvrement et a déclaré ne pas être en mesure de s’exprimer sur les comptes combinés de la branche famille. Vous procédez également de manière désordonnée : vous nous annoncez pour janvier la discussion du projet de loi finalement intitulé « Hôpital, patients, santé, territoires » ou HPST – ce n’est pas le nom d’une nouvelle maladie, mais cela y ressemble.
M. Denis Jacquat. Cela pourrait le devenir ! (Sourires.)
M. Jean Mallot. En effet, si vous continuez de vous y prendre aussi bien !
Nous l’avons toujours dit, il eût été opportun de discuter de l’organisation de notre système de santé avant d’en déduire son financement. Vous n’avez manifestement pas tenu compte de cette observation.
Puisque les déficits existent et s’aggravent, il faut trouver des ressources. Qu’à cela ne tienne : les régimes complémentaires constituant pour vous une aubaine, vous augmentez la taxe sur le chiffre d’affaires « santé » des organismes complémentaires, ce qui portera son produit à 1 milliard d’euros. Il s’agit en fait de réorienter cet argent vers la CNAM, le passage par le Fonds CMU n’étant qu’un habillage. Dès lors, une question simple se pose, à laquelle vous n’avez pas encore répondu : soit il s’agit d’une arme à un coup, ce qui laissera le problème entier une fois ce milliard d’euros empoché cette année ; soit vous pérennisez ce prélèvement, dont la charge rejaillira alors fatalement, à terme, sur les assurés des régimes complémentaires concernés.
Cette forme de rapprochement entre régime obligatoire et régimes complémentaires, notamment – mais pas seulement – par le financement, m’amène à évoquer l’article 31, qui prévoit d’associer systématiquement l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, l’UNOCAM, à la négociation des conventions médicales. La signature de l’UNOCAM est même obligatoire dans les secteurs optique et dentaire.
Nous avons discuté ce matin en commission, à propos des travaux de la MECSS sur les affections de longue durée, de cette question qui occupe de plus en plus nos esprits et nos débats : la répartition des rôles entre les régimes obligatoires et complémentaires. Nous débattions en particulier ce matin de l’éventuelle instauration du « bouclier sanitaire », donc du périmètre du fameux « reste à charge », que ce bouclier permettrait de plafonner. On peut du reste se demander pourquoi vous n’avez pas traité la question des ALD dans le cadre du PLFSS. Les propositions de M. Door, rapporteur de la MECSS sur ce sujet, auraient pu nourrir la discussion du PLFSS si elles nous étaient parvenues avant que celle-ci ne commence.
C’est regrettable, car la prise en charge des ALD est loin d’être sans effets sur le financement de l’assurance maladie : 10 millions de personnes en bénéficient, dont le nombre augmente de 4 % par an, et les dépenses engagées à ce titre atteignent 80 milliards d’euros, soit environ 65 % des remboursements effectués par l’assurance maladie. Cette prise en charge pèse donc lourd, ce qui justifie que l’on y réfléchisse.
Quant à l’instauration du bouclier sanitaire, nous allons en débattre, puisque le rapport Door – du nom de son rapporteur (Sourires) – sera bientôt publié. Je rappelle simplement que la variation du plafonnement du reste à charge en fonction du revenu de l’assuré constitue l’un des points de désaccord entre nous : le pacte de 1945 pourrait-il être remis en cause ?
Ce PLFSS n’est donc ni fait ni à faire… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Éric Woerth, ministre du budget. Encore ?
M. Jean Mallot. Dans un exposé, il faut ménager des transitions, monsieur le ministre. Vous le faites souvent ! (Sourires.)
M. Jean-Luc Préel. Pour mieux conclure ?
M. Jean Mallot. Pas tout à fait : j’ai à peine utilisé la moitié de mon temps de parole, mon cher collègue !
Mon point de vue sur ce texte est manifestement partagé sur les bancs de l’UMP : les parlementaires de droite n’ont rien trouvé de mieux que de multiplier les amendements. MM. Tian, Préel ou Bur s’en sont ainsi donné à cœur joie. J’ai même compté un jour que, sur quatre-vingt-quatre amendements, seize venaient de l’opposition. C’est dire combien la droite jugeait le texte digne d’être enrichi.
M. Denis Jacquat. C’est plutôt que l’opposition n’a plus d’idées !
M. Yves Bur, rapporteur. Cela révèle votre absence d’idées, de projets, de propositions !
M. Jean Mallot. Parmi ces amendements, un amendement de suppression, qui a vécu en commission mais n’a pas survécu au débat en séance publique, tendait tout simplement à supprimer la prime transports annoncée par le Premier ministre et prévue par l’article 18.
M. Yves Bur, rapporteur. C’est de l’histoire ancienne !
M. Jean-Pierre Door. On a voyagé depuis !
M. Jean Mallot. Il ne faut jamais oublier l’histoire, mon cher collègue, si l’on ne veut pas la répéter bêtement.
Alors que le problème du pouvoir d’achat se pose de manière particulièrement vive à nos concitoyens, MM. Méhaignerie et Bur, avec quelques autres, nous ont ainsi expliqué qu’il ne fallait surtout pas instaurer cette prime et qu’il était préférable de travailler sur le salaire réel. Cela valait son pesant d’or : dans le texte sur les revenus du travail, dont nous discutions au même moment, vous faisiez tout pour substituer au salaire réel des rémunérations annexes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous le savez parfaitement, monsieur Cherpion : vous avez fait de votre mieux pour nous convaincre du contraire, mais en vain !
Je songe également au désormais célèbre amendement Bur, qui n’était ni la première ni, sans doute, la dernière tentative de suppression du remboursement des cures thermales.
M. Yves Bur, rapporteur. De réduction de leur remboursement !
M. Jean Mallot. En effet, de 65 à 35 %.
Je l’ai dit : quand il n’y a pas grand-chose dans un texte, la droite essaie de le nourrir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La droite a donc elle-même torpillé cet amendement ; un débat interne préalable n’aurait-il pas mieux valu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Pierre Door. Et chez vous ?
M. Benoist Apparu. Comment osez-vous parler de débat interne ?
M. Yves Bur, rapporteur. Vous péchez par omission !
M. Jean Mallot. Que n’avez-vous en outre écouté nos arguments…
M. Benoist Apparu. De qui viennent vos arguments, de Royal ou d’Aubry ?
M. Jean Mallot. …puisque nous étions favorables au maintien du taux actuel, en attendant bien entendu l’évaluation en cours ? Cela vous aurait évité de vous précipiter bêtement sur un amendement tout à fait inopportun.
M. Yves Bur, rapporteur. Vous l’avez soutenu en commission !
M. Jean Mallot. Pas du tout : j’ai voté contre ! Vérifiez le procès-verbal ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.)
M. Yves Bur, rapporteur. Il n’y en a pas !
M. le président. Seul M. Mallot a la parole. Monsieur Mallot, poursuivez, mais sans faire de provocation.
M. Jean Mallot. Je ne provoque personne !
J’ai regretté que l’UMP, si prodigue en amendements, n’en dépose aucun – contrairement à nous – tendant à accroître l’effort de prévention. On entend beaucoup de beaux discours sur la nécessité de traiter les problèmes en amont…
M. Denis Jacquat. Ce sera pour janvier !
M. Jean Mallot. Toujours plus tard ! Il faudrait faire de la prévention plus tôt ! Malgré vos discours, vous ne prenez guère de mesures en ce sens, si bien que la prévention continue de se chiffrer en millions d’euros alors que les soins curatifs représentent des milliards. Nous vous l’avons fait observer à plusieurs reprises. Inutile de reprendre un débat que vous connaissez mieux que nous : la prévention serait salutaire pour nos régimes et, naturellement, pour la santé de nos concitoyens.
J’en viens à un long chapitre de ce PLFSS : celui des retraites. Je serai bref, puisque l’un de mes collègues en parlera tout à l’heure. Sur ce point, vous n’avez rien trouvé de mieux que d’encourager le cumul emploi retraite…
M. Denis Jacquat. C’est très bien !
M. Jean Mallot. …sans doute pour adresser un message d’espoir aux jeunes qui peinent à entrer sur le marché du travail. Vous avez feint de consentir un effort – largement insuffisant – en faveur des retraites agricoles, dont le niveau minimal est porté à 633 euros, même si l’ensemble des pensions perçues est plafonné à 750 euros...
M. Denis Jacquat. Il s’agit d’une première étape ! Cela a été précisé !
M. Jean Mallot. …alors que nous vous demandons de porter ce minimum à 85 % du SMIC. Vous parlez toujours d’une première étape, mais la suite ne vient jamais !
Pour notre part, nous aurions souhaité que la retraite complémentaire obligatoire, instaurée par le gouvernement de Lionel Jospin, à l’initiative de Germinal Peiro, soit étendue aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux.
Pour les pensions de réversion, vous avez fait semblant de faire un geste reprenant d’une main ce que vous avez donné de l’autre. Vous avez en effet porté le taux de réversion de 54 % à 60 %, mais en instaurant des conditions telles – limite d’âge fixée à soixante-cinq ans, plafonnement des droits propres et dérivés à 800 euros – que l’effort est grandement limité.
Pour ce qui est de l’emploi des seniors – sujet majeur, vous nous l’accorderez – vous mettez en place un dispositif auquel les entreprises n’auront aucun mal à se soustraire. Le texte prévoit qu’elles devront négocier un accord collectif pour encourager l’emploi des seniors, mais il leur suffira d’annoncer un plan d’action pour échapper à la sanction d’un prélèvement de 1 % sur la masse salariale. Autrement dit, ce sera un coup d’épée dans l’eau.
Encourager l’emploi des seniors est pourtant indispensable si l’on veut éviter les conséquences de votre funeste décision de porter la durée de cotisation à quarante et une annuités, à l’heure où seuls 38,5 % de nos concitoyens occupent un emploi à l’âge de la retraite.
M. Denis Jacquat. Pourquoi funeste ?
M. Jean Mallot. La conséquence directe de l’allongement de la durée de cotisation sera la baisse du montant des pensions versées : c’est de la simple arithmétique, cher collègue !
Je ne m’étendrai pas sur la question de la pénibilité, car j’aimerais m’attarder sur les implications du fameux « amendement Jacquat » sur la retraite à soixante-dix ans. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Nous avons vu réapparaître la théorie du libre choix. Selon vous, un salarié de soixante-neuf ans serait libre de choisir de continuer à travailler ou pas. Pensez-vous vraiment que les personnes qui savent qu’elles n’auront pas les moyens de vivre si elles partent à la retraite disposent d’une quelconque liberté de choix ? Nous avons eu le même débat à propos de la participation, monsieur Cherpion : certains ont voulu faire croire qu’un salarié ayant à peine de quoi vivre avait le choix en matière de déblocage de la participation. Il en va de même pour les heures supplémentaires ou pour le travail du dimanche, dont il sera bientôt question.
Bien que j’aie été interrompu fort souvent, ce qui est bien regrettable, monsieur le président, je conclurai en soulignant que non seulement ce projet de loi n’est ni fait ni à faire mais que les quelques mesures qu’il contient sont des mesures de régression sociale : voilà pourquoi il est indispensable de voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)